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Angkor

Joli temps pour revoir des photos, trois albums,
avant ou avant-avant-hier, ce temps aigri !
et même un vieux National Geographic,
version française, objet : Troie, Ninive, Angkor Thom,
plusieurs autres villes de grès rose et de marbre
apparues… non ! reparues, ayant disparu
par l’arbre, le désert, l’incendie. Dans leurs rues
combien en passa-t-il de ces civils à barbe,
magistrats, marchands, ou militaires, sceptiques,
ces hommes fréquentant à toute heure les temples
dont Angkor Vat demeure, archétype, l’exemple.
Auraient-ils cru le National Geographic,
version française ?
Un jour, et ses longs lendemains,
la racine a couru sous les parvis de pierre,
des lézards sur le chant pourrissant des sablières,
l’amnésie fut le pire des maux, à la fin.

Nous avons regardé ces photos, tu m’as dit :
Plus tard sous cette liste on gravera « Paris »,
sans rire ni sourire, étonné que j’aie ri.
Je me souviens à présent, c’était samedi.
Samedi ou pas, jamais tu ne peux
rester sérieux.

Flash

Si les temps devaient resurgir
Identiques, où vont agir
Des hommes drus, les plus agiles,
Les planches de médiocre argile
Pendues aux vallons déchirés,
Grâce aux murets, reverdiraient.
Ces hommes oublieront la ville
En faveur de lointains tranquilles,
La vérité dont on se rit
Je prends le risque et je l’écris.
Les masures tout sauf gentilles
Perdues d’hiver, que l’été grille,
Leurs murs si bien improvisés
Sous les tuiles non vernissées
Vite au soleil et tard à l’ombre,
Rejetteront de leurs décombres,
Je crois. Même…même, je vois
L’animal de somme qui doit
Prier sa mort, il achemine
L’ânée par clapes et ravines,
Ses sacs de grain, sur le sentier
Encore lié d’églantiers.
Et ces temps frôlant l’illisible,
Ces temps seront doux mais terribles.
Car ceci n’est pas sans danger,
Il faudra mourir ou changer.
Mes vers et moi – enfin, j’espère –
Serons au calme sous la terre.

Le colporteur

Je marche tant, sur les sentiers,
Sur les chemins, des jours entiers
Et tant, qu’autrefois et ailleurs
Je fus sans doute colporteur.
Porteur de jour, de nuit sans nombre
Au chaud de l’été, alors, l’ombre
De mon ballot sur la callune
Me faisait bossu de la lune.
J’allais d’extrèmes en confins
Vendre des boutons, mais enfin
Donner la nouvelle du mois,
Le prix du blé, la mort du roi,
Vendre à leurs mères des aiguilles,
Accepter, servie par les filles
Pour que la soif d’août se résorbe,
De l’eau coupée de vin de sorbes.
Celui qui vint reste étranger,
Vendre, rarement échanger,
Une seule fois j’ai osé
Un dé d’argent contre un baiser.

Tant marcher, vagabonder tant
Cela n’est pas une existence,
Que le ciel arrive à ton aide,
Colporteur.
Sous un col très raide,
Un hiver, un vent de Thulé
Déroba ma cape huilée
Puis il tissa, venus du pôle,
Ses fils mouillés sur mes épaules.

Les prospecteurs

Rire, il fait froid, j’ai faim, pars, reste…
nos bouches forment un par un
Des mots épuisés et, les restes
De ces mots usés si communs,

Si divers, en fait si semblables,
Ils choient à nos pieds sans arrêt
Ainsi chaque quoique innombrable
Feuille sèche dans la forêt.

Par force de temps leur matière
D’ossements et chairs délavés
Propose à qui veut une terre.
Mais capricieuse à cultiver,

Alors va surgir cette secte
Des illuminés, des déments
Qui creusent vainement, prospectent…
Pauvres chercheurs de diamants,

Ne sont mêlées précieuses pierres
Tombées de nos lèvres fanées
A l’exaspérante poussière
Des mots fourbus ou surannés.

Parabole à la spathe

On relate, on murmure : aux roches incertaines,
Promontoire où la mer condense son haleine,
Un buisson prodigieux croît par toutes saisons
Portant la grappe-fleur de longue floraison
Fertile en illusions, belle fleur d’artifices
Nés des ombres et jouant du soleil, factice
Insecte, oiseau, bijou… Ainsi perçoit ces fleurs
Comme bijou l’orfèvre et oiseau l’oiseleur.

Jamais ne passe un mois qu’un fou, un acrobate
Avide, un inconscient amoureux des dangers
Ne grimpe à la falaise en saignant, si léger
Vers une inflorescence à l’étonnante spathe.
De cueillir, ô sanglants, ses doigts vont se hâter
Mais, croyez-vous, la fleur aussitôt détachée
En fieffée magicienne aura, prompte, séché,
Qu’aucun humain, aucun, ne saurait convoiter,

Pauvre butin !
Pas de rubis, pas de camées,
Enfermés dans sa main, des débris parfumés…

Au revoir

Entre les mauvais murs
De palais déclassés
L’oubli fait du passé
Ce boulevard obscur

Dont les rues adjacentes
Me rendent, seul passant,
Un mélange obsédant
De musiques latentes.

Des lueurs palpitent, voilées,
Quelques lanternes vénitiennes
Où des regrets de vies anciennes
Achèvent de brûler.

L’albinos

Dans les squares, bohème
Tardif et avenant,
Je vends à tout venant,
A qui veut, mes poèmes.
Jamais je ne rougis
De ce commerce instable
D’où je sors incollable
Sur la PSYCHOLOGIE
D’un sujet qui s’expose.
Pesé par le passant
Je SAIS ce que ressent
L’homme à l’étoile rose,
L’albinos, l’autrichien,
Le cadeau de rupture,
Le faux en écriture
Et la crotte du chien.

Les comètes

Fluide opalin saturant l’air
La poésie résurge inscrite
Grâce au parti du plumarite,
Traduire le non-dit en clair,

Et déployant sa grande antenne
Relayée par un grand crayon…
Puisque excellant dans son rayon
Aucune transcription ne traîne.

Sans ce copiste nous irons
Rêver, humer, boire, téter
La voie sucrée, nos nuits d’été,
Ample et crémeuse en leur giron.

Sait-on la mélodie moins belle
Des mots à jamais effacés
Ou qu’on ne verrait pas tracés ?
Sage, qui l’aime virtuelle

Et fou qui grave pour les siens,
Scribe ou musicien ! D’une traite,
Parfaite, suivez la comète
Qui passe et ne nous laisse rien.

L’oiseau gris

Le mois d’avril tient par la main
Le mois de mai, soudain le cri
Nostalgique du coucou gris
Nous hèle sur un ton humain.

Début mai, paraîtrai-je étrange,
Aux écarts où je vais m’asseoir,
Le matin mais surtout le soir
Son chant me parle et me dérange,

Si distinct du fond passereau
Anonyme, ou au crépuscule
Des voix troublantes qui ululent,
Le chat-huant reste un oiseau .

Par cet accent d’horloge suisse
Dans le printemps, le coucou gris
Met-il une sauvagerie
A m’atteindre, que je ne puisse

Ignorer son m’attendiez-vous
Quand vient la fleur de même nom ?
Je ne saurais répondre non.
Etait-ce un dernier rendez-vous ?

Une évidence

Des transports nous menaient en ville
Puis, au ciné, vers des ailleurs.
Désertés à seize ans. Le cœur,
Vers les seize ans, se meurt des filles,

De prénoms souvent d’Amérique
Copiés pour nos fiancées
Après guerre, mais il dansait,
Notre cœur, sur toute musique.

Oh ! ne devenait pas amant
Qui juste en rêva, même si
L’âme impudique s’incendie
Si l’on embrasse imprudemment.

Guéris des amours enfantines
Bien d’entre nous furent heureux,
En Occident n’a plus qui veut
La tragédie comme voisine.

Au crépuscule je prétends
Ne retenir que le soir triste,
Qu’elles soient mortes ou subsistent
Mes fiancées ont soixante ans.

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Alain Balussou