A l’OUEST DE KISANGANI, le début
« Les cavaliers bleus de la nuit dévalaient les pentes de l’est,
déboulaient sur les gazons écumeux de brouillard, gagnaient des
couverts propices qui ralentiraient leur course rectiligne vers les pays
impossibles de l’ouest où, croient-ils, le jour ne se lève pas. Leurs
montures de nuage – ou d’ombre, peut-être – sentaient proche la
caresse mortelle qui les pousse dans leur fuite sans f in à travers mers
et continents où l’obscurité les travestit en vagues monstrueuses, où
le tumulte de leur passage s’identifie au galop du vent….
Longtemps avant l’aube les frémissements de leurs naseaux
impalpables avaient trahi l’apparition, sur les crêtes orientales, d’une
moisissure dont le liseré avait gagné patiemment sur le noir du ciel.
Leur inquiétude avait grandi lorsque la première alouette, encore
engourdie mais bien éveillée, eut fait pleurer d’un coup d’aile les
branches hautes d’un noisetier où une élytre scintilla d’une lumière
tout extérieure. Ce fut un signal de déroute entre les grands genêts
mouillés, sur l’herbe déjà luisante des talus : elles tranchèrent droit
dans les carrés de seigles, les taillis que les épeires avaient
vainement tendus de filets de rosée.
De leur passage il ne restait maintenant dans le lointain
qu’une poussière de brume, soulevée par leurs sabots irréels, et
aussi quelques crins de grisaille accrochés aux mélèzes du bout du
paysage. L’une d’elle, semblait-il, avait eu l’audace de faire face au
soleil car l’on vit briller ses yeux, un instant court, dans l’échancrure
d’un vallon. A moins que ce fussent deux étoiles…
Par trois brèves séries de jappements décidés, du côté des
granges hautes en lisière des bois, un chien marqua le début de la
journée transparente de septembre qui commençait. »
Point final ! Entre hébétude et découragement je fixe le point
final, après « commençait », cloué sur le lit par la chaleur qui ne veut
pas savoir que je n’ai gardé que ma montre. La lumière est un
tamisat orangé à peine suffisant pour lire, l’air de la chambre une
confiture que les pales du brasseur piochent délicatement. Tous les
quatre tours un minuscule couinement de rongeur tombe du
mécanisme. Cependant, l’efficacité de ce débris n’en finit pas de
m’étonner : le courant d’air nonchalant qu’il dispense fait oublier
qu’une lave jaune a figé la cour dans cette heure parmi les plus
dures, gommé jusqu’au bruit de fond de la forêt. En plus, sans avoir
l’air d’y toucher, il refoule la douzaine de moustiques de service.
Face à moi, dans le coin droit du plafond, un gecko translucide fait
le mort.
Point final, ô combien ! Combien de fois ai-je lu et relu cette
poignée de phrases, depuis début octobre ? Cent, deux cents… ? Le
cahier fripé atterrit en hélicoptère sous la chaise : il en fait gicler vers
la « salle de bains » (comme dit la vieille bique) une blatte de la taille
d’une souris suivie de trois autres, plus petites, en peloton serré. Je
n’ai jamais vu de souris ici, que de ces blattes répugnantes !
… Disons trois cents lectures des prémices de mon roman,
pondues dans un enthousiasme relatif. Sans pouvoir y ajouter une
ligne, un mot, au fil des semaines et des mois…
Quatrième de couverture
Petit Saint, fonctionnaire impeccable le jour et candidat à l'écriture en mal d'inspiration, marine dans une ville de brousse furieusement tranquille. Et glauque.
Heureusement-ça aide-il est à son corps défendant tombé amoureux de cette Afrique des premières années quatre-vingt qui vacille au bord d'un gouffre sans que personne n'en ait conscience.
Et puis, trois jours avant son retour en France et au début du roman, une étrange visiteuse aux étranges motivations frappe à sa porte et Petit Saint ne comprend rien à rien. Tant mieux, car tout changement dans ces dispositions pourrait marquer le début de notables ennuis.
...Sa constance lui permettra-t-elle de les éviter?