ASSISTANCE
De la table noire
(c'est mon écritoire)
Je vois les oiseaux.
Ils mangent des figues
(les restes de figues)
Je les trouve beaux.
Même, un rouge-gorge
(très rouge de gorge)
Vient traîner par là,
Piquant la dentelle
Des vieux vermicelles
Dans l'assiette aux chats.
Si tu es à l'aise
(avec de la braise)
Pense à eux, l'hiver :
A tes arbres, laisse
Des boules de graisse
Pour "oiseaux divers".
COMMENCEMENT - 4
Je vois des loups, des loups comme vous vous voyez
Par métier familial envahir les quartiers
Mais tout entiers, l'asphalte où traînent des papiers
Non dégradés, les quartiers chics ou dévoyés,
L'honnête meute en notre enfance peu choyée,
Sans assez d'appétit pour la bête à deux pieds,
Longtemps cachée, méfiante car épiée,
Que seule votre absence osera envoyer.
Elvire, eh non ! je ne fais pas mon Vidalie :
Mes loups sont vrais, sans délations, sans ordalies.
Ils tournent dans les rues du Port, des Musiciens,
Où de vieux pots de fleurs s'écroulent aux fenêtres.
Les loups viendront quand il sera ce qui doit être.
Alors, n'ayant rien d'autre, ils mangeront les chiens.
LEVRES BLANCHES
Tant s'envole la poésie
Des mers de Chine
Que la sueur de mes amis,
Aux salines.
Blêmes amis, venez à nous
Dans la tourmente,
L'invite du poète est tout
Sauf méchante.
En ces jours amoindris et noirs,
D'intense fièvre,
Il posera le baume espoir
Sur vos lèvres,
Bouche pareille, doux Jésus,
Aux roses blanches
Refleuries au flanc du talus,
Les dimanches,
Offrira pour chanter en chœur
Monts et merveilles,
Le mot qui frôlant votre cœur
Le réveille,
Le brandon pouvant embraser
L'eau des salines,
Impitoyablement raser
Leurs usines.
PITTORESQUE
De loin, le village à cimaises
Répand une poignée de fraises
Sur le coteau.
Le point de vue est admirable,
Le cadre cartepostalable
Mais sans ruisseau.
Le sentier, artiste, surligne ;
Avant-hier, sauf faveur insigne,
Cassait le dos
D'hommes n'ayant pas pris le large,
De femmes maigres dont la charge
Ployait les os.
Assez vite, ma tête blonde,
En ce beau décor tout le monde
Laissait sa peau.
UN SOIR
En boucle, en bas, Nice éparpille
Ses escarboucles, escarbilles.
Nous sommes en février, il pleut.
La fumée de ma cigarette
Contourne un genévrier bleu,
Le ciel mouillé frotte le toit
Où le bord du auvent s'arrête,
Heure du silence, autrefois,
D'essieux mal graissés de charrettes.
Ce temps, fleurissaient par rangées
Au bord du Var les orangers.
Les gens y vivaient d'un peu d'huile,
Presque rien d'argent tant le blé
Germait non pas précieux, utile,
Si la marne hostile d'emblée
Chassait la vigne, quand le vin
Sang du bœuf ou rose de tuile
Fascinait mieux qu'un blanc levain.
Le brouillard montant, maintenant,
Eteint les lampes lentement.
...............
Avis de l’un, de l’une :
"Nourris donc pus tant les zoiseaux,
avé c'qu't'y as passé pour des prunes
t'aurais pu acheté l’auto !"
C'est un conseil idiot,
J'en ai déjà une.
HUMEUR
Si l'anglais m'écorche l'oreille,
Commençant plus bas que Paris
Des accents drôles je me ris
Qui sont alors tout, sauf merveille,
Natif du pays dont le roi
Sut écrire en lais vers l'Espagne,
Pour le prince des Francs montagne :
Lui, signait son nom d'une croix.
Puis, barbare, tu descendis
Où sourd la figue du rocher.
A bétail peut-on reprocher
D'écraser les myosotis ?
Cela n'est rien, voici qu'encore
L'Etat trucide au coin d'un bois
Ce qu'il appelait le patois :
Dix mots contre un, venu du Nord.
Jamais ne revivra le temps
Où coulaient en notes rugueuses
Sur le pavé des cours ombreuses
Les musiques de l'Occitan,
Et nous, parlant dans le village
Un idiome sans carrure,
Nous oublierons cette blessure
Invisible du paysage.
MEMOIRE
Ils n'ont pas eu tous quatre planches,
Pauvres soldats, c'est volontiers
Que je mets pour eux des souliers
Neufs, ma belle chemise blanche,
Les onze novembre on se rend
En cortège à leur monument.
Tout à l'heure on lira la liste
Des noms de ces enfants perdus,
Pour ma part je n'aurais pas dû
Savoir... Pourtant, cela existe.
On dira leur nom, certains pensent
"Au moins sont-ils morts pour la France".
Ils sont morts un jour de brouillard
Ou de soleil, cela le marbre
Le tait, ou même contre un arbre,
Fuyard repris... Ou par hasard,
Sans un pinson, une alouette
Chantant au-dessus de leur tête.
Mais ceux qui les ont menés là
Ne voient le leur qu'au coin des rues,
Vague square, d'une avenue,
Leur sert de bannière ici-bas
Un morceau de fer émaillé,
Un carré de tôle écaillé.
PROMENADE A LA MONTAGNE
Passés la zone de combat, l'acide alpage,
Un empire défie, de neige et de rochers.
Découvrez-y ces tours aveugles, ces clochers
Blancs et bruts sonnant du vent nordique à la rage
Des glaces projetées, l'à-pic pour héritage,
La verticalité. Deux craves décrochés
Du ciel survolent, noirs. Vous, des fonds, approchez
Puis dites aux vivants, repartis, il est sage
De n'accéder ici qu'humblement, que le fort
Ou le très fier ne trouve entente que de mort
S'il n'adopte à venir le profil d'un servile,
Et qu'on ne compte plus les princes et les rois,
Naïfs au grand soleil ou créditeurs des froids,
Ensevelis debout, regardant vers la ville.
VOYAGEUR
Quand nul imprévu bel et bon
Ne vient piquer le cœur au bond
Sens-tu avec un peu d'angoisse
Un calme plat dont l'air s'empoisse
Se répandre, rassis, glacé,
Suintant de la fin d'été ?
Le ciel de l'Europe est trop clair,
Sans un spasme, sans un éclair,
Les heures tout sauf électriques
Jalonnées de temps tabagiques,
Les mots à venir trop connus
Et demain comme une île nue.
Baisse tes yeux écarquillés,
Aucun néon dans ces contrées,
Pas un bar aux alcools bizarres,
Pas de balafon, de guitare
Ni de sourde rumeur, de bruit
D'argent qui s'échange la nuit.
Je connais cependant des ports
Où des filles brunes au corps
De tiède soie, d'osier gracile,
Mais froissées d'un rire facile,
Cachent mal au fond de leurs yeux
Le regret des futurs adieux.
Après long séjour sur les eaux
On y arrive par cargo
Ou bateau de pêche hauturière.
Parti pour l'existence entière
On revient un jour, harassé,
Puis on ne vit que de passé.
...............
Un mot seul, une idée ?
Une pierre insérée,
Comme faisait Cheval,
Au Palais Idéal.